Idole : Commentaire

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« Idole » est un court métrage de marionnettes animée en direct basé sur un poème vieux de 2000 ans de l’auteur romain Publius Ovidius Naso (Ovide). Il décrit comment Pygmalion, un homme dégoûté des femmes qui l’entourent, se construit une compagne à partir de morceaux d’ivoire ; l’effigie est si réaliste qu’il finit par en tomber amoureux. J’ai toujours été fasciné par cette histoire malgré (ou peut-être à cause de) sa prémisse quelque peu étrange et dérangeante. Aujourd’hui, dans un monde d’intelligence artificielle, d’identités sur les réseaux sociaux et de communication virtuelle, cela semble plus pertinent que jamais. En tant que célibataire par choix qui préfère une fausse femme faite maison à une vraie, Pygmalion pourrait facilement passer pour un hikikomori, une personne moderne souffrant d’un retrait social aigu. C’est pourquoi « Idole » le dépouille de sa toge et de ses sandales et le place dans un environnement urbain moderne. En même temps, aucun effort n’est fait pour cacher le fait que ce monde est une illusion : un décor de cinéma miniature fabriqué à partir de boîtes recyclées et peuplé d’acteurs en carton manipulés par un marionnettiste hors écran. Dans l’ensemble, le film joue continuellement avec la tension entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, remettant en question non seulement son propre statut de réalité mais celui de notre monde entier. De plus, s’exposer délibérément en tant que film et spectacle de marionnettes l’aide également à conserver, je crois, certaines des qualités archétypales de l’histoire originale.

Le film reste fidèle au poème d’Ovide même s’il n’utilise aucune narration ou dialogue significatif pour le faire. Au lieu de cela, il traduit la riche imagerie du texte en une forme visuelle contemporaine qui rappelle les livres d’images pour enfants ou les romans graphiques, avec des marionnettes articulées mais bidimensionnelles comme acteurs. Traditionnellement, le poème d’Ovide est considéré comme un hommage au pouvoir de l’art, avec Pygmalion étant l’artiste par excellence. Raconter son histoire avec des marionnettes lui donne un angle métaphysique, car maintenant le sculpteur jouant avec sa poupée est lui-même une marionnette, pas trop différente au niveau existentiel de la chose qu’il a créée. Dans l’histoire originale, la déesse de l’amour Vénus-Aphrodite donne généreusement vie à l’idole – un miracle qui prend une nouvelle dimension dans un film où les acteurs eux-mêmes sont de fausses personnes qui ne que semblent être vivantes.

Adapter un conte ancien aux sensibilités modernes pose des défis, en particulier un récit aussi teinté de misogynie et de privilège patriarcal que celui-ci. Dans l’original, après avoir donné vie à l’effigie de Pygmalion, Vénus « est présente au noces qu’elle a elle-même orchestré », et à peine neuf mois plus tard, un bébé est né. Tout cela se passe sans le consentement de la femme nouvellement créée, à qui on ne donne même jamais de nom. Les implications sont profondément troublantes. Pourquoi une déesse de l’amour récompenserait-elle un misogyne en transformant sa poupée d’amour en épouse ? Et pourquoi forcerait-elle cette « épouse » au mariage et à la maternité dès qu’elle ouvre les yeux pour la toute première fois ?

Il a fallu une lecture attentive du texte d’Ovide pour trouver des réponses créatives aux problèmes qu’il soulève, ainsi que des recherches sur l’ancien culte de Vénus-Aphrodite sur l’île de Chypre, où se déroule l’histoire. Sans contredire la version d’Ovide, “Idole” ajoute néanmoins une tournure à l’histoire qui offre une alternative plus acceptable et stimulante au bonheur immérité et hautement invraisemblable que la fin originale suggère.

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